Avis sur outils numériques que les enseignants-éducateurs utilisent dans leurs classes.

Mooc?

Article lu dans :
 http://www.huffingtonpost.fr/olivier-toutain/e-learning-universite_b_2787720.html?utm_hp_ref=france

De qui se MOOC-t-on?
Publication: 02/03/2013 06h00

Freinet n'en croirait peut-être pas ses yeux. Dewey non plus. Piaget se retournerait peut-être dans sa tombe, qui sait ? Les MOOC (Massive Open Online Courses) arrivent dans notre Hexagone accompagnés d'un doux parfum made in USA.

Les MOOC, ce sont ces cours interactifs d'un nouveau genre, utilisant les dernières technologies du web 2.0 et réalisés par des professeurs stars des meilleures institutions nord-américaines. Ainsi le MOOC edX est réalisé par les prestigieuses MIT, Berkeley et Harvard University.

L'alliance de la technologie de l'enseignement à distance avec la notoriété de certaines institutions d'enseignement supérieur - très minoritaires dans le monde - représente une formidable alchimie... pour marketer, démarcher ses clients dont 10% d'entre eux achèteront peut-être le diplôme à l'université de prestige en question (voir l'article sur Le Monde.fr du 27 février 2013). Une bonne opération pour les vendeurs de diplômes de renom.

En France, cet outil a de quoi faire rêver certaines institutions d'enseignement supérieur, en particulier nos écoles de management, en proie actuellement à de forts questionnements sur leur devenir. Pour nos plus prestigieuses institutions, la question ne se pose même pas : il faut rester dans la course internationale, donc développer nos french MOOC.

Alors puisque les MOOC débarquent, que faut-il en faire ? Un moyen de communication pour aider l'institution à se différencier auprès des étudiants en proposant des cours en ligne d'une discipline qu'elle est seule à vendre ?

En voyant les bureaux bardés de trophées des enseignants américains, certains iront même jusqu'à avancer que les MOOC peuvent permettre, en France, de "nobéliser" l'enseignant ("Les MOOC sont un formidable outil de développement de ce qu'on pourrait appeler la "nobélisation" des enseignants").

Pour éviter les écueils, il est utile d'analyser cette innovation pédagogique à la lumière de l'histoire. Les MOOC sont un enseignement de type transmissif : un émetteur envoie des informations à plusieurs récepteurs - nombreux dans le cas présent - qui se les approprient (ou pas) en connaissances.

L'émetteur est responsable de la qualité des informations transmises, le récepteur se débrouille. Il sera de toute manière sanctionné par un examen final lui permettant de savoir s'il est reçu ou non par ses pairs.

"Intelligence situationnelle"

Depuis le 27 octobre 1917, Freinet, alors jeune instituteur blessé lors la première guerre mondiale, s'emploie à enseigner autrement en raison de ses problèmes de santé. Il expérimente de nouvelles manières d'enseigner et créé rapidement un nouveau courant reposant sur une pédagogie nouvelle, fondée sur la participation active des individus à leur propre formation.

À l'époque, il est proche de John Dewey, un américain défenseur d'une autre éducation (1). En quelques années, les travaux de Freinet et de Dewey permettent ainsi le développement d'un véritable courant de pensée qui se répand en Europe comme aux États-Unis. Celui-ci repose sur le principe, central, selon lequel l'individu est le principal acteur dans le développement de ses connaissances, qu'il construit à partir des expériences que l'école va lui permettre de vivre.

Quelques décennies plus tard, Jean Piaget parlera d'"intelligence situationnelle" pour caractériser l'un des challenges essentiels de l'éducation : aider l'apprenant à développer une intelligence lui permettant de comprendre la situation dans laquelle il se trouve, s'y adapter et s'en nourrir pour développer ses connaissances et poursuivre ainsi son apprentissage.

L'enseignant occupe alors le rôle de facilitateur, c'est-à-dire celui qui va aider l'apprenant à cheminer pour construire ses propres connaissances. L'enseignant accompagne, aide l'apprenant à réfléchir, à analyser, à comprendre, dans l'objectif d'acquérir des connaissances qui ont été définies préalablement dans son programme.

L'individu figure donc au centre des attentions. L'enseignant est le coach qui ne joue pas au centre du terrain, mais observe ses joueurs du banc de touche. Dans ces conditions, l'enseignement de type transmissif paraît bien pauvre. Au mieux, il évite à l'étudiant d'avaler un gros livre indigeste en lisant ou en écoutant de manière ludique les propos tenus par l'enseignant anobli qui joue au centre du terrain en portant fièrement le maillot de son équipe (son institution).

Dans ce contexte, l'apprentissage centré sur l'individu appartient aux écoles de la planète Mars. Le format d'enseignement est conçu pour nourrir le consommateur. Il diffuse intrinsèquement auprès du plus grand nombre (par exemple 140 000 étudiants pour le premier mis en ligne par Stanford) des idéologies, des valeurs sans échanges ni débats possible.

L'étudiant est seul derrière son ordinateur : il accepte ou non ce qui lui est proposé. Lui seul assume. Les MOOC peuvent donc devenir un redoutable outil permettant d'aller encore un peu plus loin dans la standardisation des connaissances, faisant fi de la diversité, donc de la créativité si recherchée pourtant par de nombreuses entreprises dans notre contexte socio-économique actuel.

Remettre les MOOC à leur place

Ceci étant dit, impossible d'ignorer ces nouveaux venus. Il faut donc bien réfléchir à savoir qu'en faire de peur pour nos institutions de devenir "has been" au regard de notre grand frère américain, toujours porteur de stéréotypes bien ancrés chez nous.

Les MOOC offrent certes une possibilité de rendre accessibles des connaissances qui jusque-là étaient confinées dans les enceintes de nos institutions, avec tous les risques que cela comporte. Mais les MOOC procurent surtout une belle opportunité de s'interroger sur la place de l'apprenant et le rôle de l'enseignant dans nos systèmes éducatifs actuels.

Une belle opportunité, donc, lorsque nos étudiants nous soulignent par exemple combien ils sont demandeurs de changements pédagogiques, que les cours en amphithéâtre avec PowerPoint les ennuient (ils préfèreraient les consulter hors temps de cours) et qu'ils recherchent plus d'échanges, de témoignages, de mises en action pour apprendre.

Merci à vous, donc, chers étudiants. Vous nous aiderez peut-être à remettre les MOOC à leur place réelle, celle d'un outil parmi d'autres pouvant, dans certaines conditions didactiques, faciliter l'accès -non l'acquisition - aux connaissances. Et merci encore, chers étudiants, car vos demandes aideront peut-être Jean Piaget à ne pas se retourner complètement dans sa tombe.
Olivier Toutain


Et vous qu'en pensez vous?
C.C.